Concomitance
Le monde traverse une période particulièrement troublée de son histoire. Nul besoin de rappeler les conflits, difficultés économiques, crises politiques et environnementales qui secouent notre bonne vieille planète. Dans ces temps compliqués, il est un actif qui ne laisse personne indifférent : l’or ! Ce métal fascine l’homme depuis la nuit des temps. Aujourd’hui, il constitue l’un des derniers remparts des grandes puissances. Pour le démontrer, il suffit de rappeler que la croissance des réserves d’or métal d’un Etat reflète normalement la croissance de sa masse monétaire. Elles constituent également l’adossement naturel des excédents (lorsqu’il y en a) de sa balance des paiements ainsi qu’une protection contre les fluctuations de sa devise. Si l’or est également un outil de préservation du patrimoine, affichant de bons résultats dans des contextes de taux d’intérêt bas ou négatifs (comme c’est le cas actuellement en Europe), il est surtout un rempart en cas de crises systémiques ou géopolitiques. Son efficacité est historiquement démontrée. Le graphique 1 (source Bloomberg) souligne la performance de l’or métal dans les crises financières des 30 dernières années.
Des achats massifs et concomitants
Il est donc normal qu’un Etat constitue des réserves d’or métal et que les achats souverains d’or s’opèrent en quantités significatives. En revanche, il est inhabituel d’observer des achats aussi volumineux et concomitants que ceux effectués par la Russie et la Chine depuis le début 2015. Ces achats sont à mettre en perspective avec l’engagement militaire russe en Syrie et l’accroissement récent des tensions Est-Ouest. Dès le début de son engagement en 2015, pendant que l’attention internationale se focalisait sur les cours du pétrole, la Russie faisait l’acquisition discrète d’énormes quantités d’or : 208 tonnes en 2015 contre 172 en 2014. Avec 1 437 tonnes, elle est désormais au 6ème rang mondial des détenteurs de réserves d’or, derrière les Etats-Unis, l’Allemagne, l’Italie, la France et la Chine. Rien qu’en janvier 2016, la Russie a acquis 22 tonnes d’or (pour environ 800 millions d’USD alors qu’elle souffrait des sanctions financières des États-Unis et de l’UE et des prix historiquement bas du pétrole). C’était le onzième mois d’affilé qu’elle achetait de grandes quantités d’or.
Changement de la carte eurasienne
Dans le même temps, la Russie s’est « dédollarisée » en cédant plus d’un tiers de son portefeuille d’emprunts du Trésor US, soit 40 milliards USD). Par ailleurs, après avoir déclaré en mai 2015 qu’elle ne voyait pas la nécessité d’acheter toute la production nationale d’or (les besoins en or de la Russie pouvant être satisfaits sur le marché libre international), Mme Nabiullina, Gouverneur de la Banque centrale de Russie, a fait volte-face : la Banque centrale achète désormais la totalité de la production d’or russe, en sus de ses achats sur le marché international.
Toujours en 2015, la Chine a acheté des volumes d’or comparables (215 tonnes). Comme la Russie, elle a procédé à des achats supplémentaires de 17 tonnes dès janvier 2016 et 101 tonnes entre janvier et août. (A noter que les opérateurs de marchés considèrent que les réserves d’or de la Chine sont stratégiquement sous-estimées pour ne pas inquiéter Londres et Washington. Le Kazakhstan et la Biélorussie ont également augmenté leurs réserves d’or. Avec l’Arménie et la Russie, ils composent l’Union Economique Eurasienne. De son côté, l’Organisation de Coopération de Shanghai compte parmi ses membres le Kirghizistan, la Russie et la Chine. Ces pays eurasiens font tous partie de l’énorme projet chinois, appelé « Nouvelle Economie de la Route de la Soie », qui vise à entrelacer toute l’Eurasie de réseaux ferroviaires à grande vitesse et à développer de grands ports dans la région, changeant ainsi la carte économique de l’Eurasie. Il est assez extraordinaire d’observer de tels achats, aussi rapides, massifs et concomitants, de deux nations structurellement en contradiction avec les orientations politiques du bloc occidental. Enfin, il importe de souligner la rupture du mode opératoire habituel de la Chine qui, jusqu’à présent, consistait à n’effectuer périodiquement qu’une seule acquisition majeure (voir les graphiques 2 et 3).
ETF, renversement de tendance
Malgré leurs acquisitions récentes les banques centrales russe et chinoise continuent d’être activement acheteuses d’or : en 2015, leurs demandes cumulées (source Dundee Economics) s’élevaient à 1 600 tonnes, soit plus de 50% de la production mondiale de 3 114 tonnes en 2015. Seulement un quart de cette demande a pu être satisfaite. On ne peut donc qu’être interpellé par les achats massifs d’or papier également constatés depuis 2015. Lorsqu’un agent économique souhaite détenir de l’or, il peut soit acheter du métal, soit des mines d’or, soit des ETF (Exchange Traded Funds) indexés sur l’or. Ces ETF, négociables sur les marchés, sont en théorie garantis par des lingots d’or spécifiquement et physiquement stockés à cet effet. Ces stocks ainsi constitués sont régulièrement contrôlés. Aucun ETF ne peut donc être émis si 100% de son équivalent en or n’est pas déposé dans une banque pour le couvrir. Ces ETF représentent aujourd’hui un total équivalant de 2 200 tonnes d’or. Il est donc intéressant de noter sur le graphique 4 (source Bloomberg 15 juillet 2016) le renversement brutal de la tendance baissière dans la détention d’or papier ainsi que l’accroissement rapide et important des volumes d’ETF acquis et détenus dans le monde depuis le début 2015, coïncidant avec le début de l’intervention russe en Syrie et des achats massifs d’or métal. Certains opérateurs de marchés s’accordent à penser que ces achats massifs d’or papier observés depuis 2015 ont pu être conduits par la Russie et la Chine pour compléter leurs achats d’or physique (dans la mesure où la totalité de leurs demandes d’or métal n’a pu être satisfaite).
Actions mines aurifères, quel intérêt ?
Depuis début 2015, on observe donc des achats massifs d’or métal, conduits simultanément par la Russie, la Chine, le Kazakhstan et la Biélorussie. Les achats de la Russie et de la Chine sont probablement complétés d’achats d’or papier. Ces achats sont quadruplement exceptionnels : par leur volume, leur vitesse, leur persistance et leur concomitance. Et ils coïncident avec l’intervention russe en Syrie et l’accroissement des tensions Est-Ouest. Parallèlement, la Russie a entamé un violent mouvement de désensibilisation au dollar de ses réserves financières. Face à ce constat, il n’est pas déraisonnable de considérer que ces achats d’or — actif refuge en contexte de crise — et cette désensibilisation au dollar puissent être le révélateur d’anticipations, par la Russie et la Chine, d’une crise géopolitique majeure.
L’aggravation des tensions Est-Ouest, la montée des protectionnismes (sources d’inflation) et les élections américaines qui font peser un risque de déstabilisation de l’échiquier international déjà malmené par les guerres au Moyen-Orient incitent à s’intéresser aux fonds investis en actions de mines d’or.
19 octobre 2016 – Didier Jug